Toutes les nations, que tu as faites, viendront se prosterner devant toi
et rendre gloire à ton nom, Seigneur,
car tu es grand et tu fais des merveilles, toi, Dieu, le seul.
(Ps 85, 9-10)
Crédit photo : Maximilien KREBS
D’un seul regard j’embrasse le parc Edouard VII, et l’avenue de la Liberté qui, en-deçà d’une place monumentale, elle aussi noire de monde, s’allonge, entre de très hauts arbres formant une nef en pleine ville. Je parcours du regard ce vaste espace alors que la messe d’ouverture est sur le point de commencer. Et tout à coup en cette soirée du mardi 1er août, je suis pris d’un vertige. Devant cette marée humaine qui a quelque chose de monstrueux, elle qui grouille, ce n’est pas la nausée qui me prend. Je ne suis pas de la progéniture de Sartre devant ses racines, au parc du Luxembourg, qui ont le tort de trop être. Pas de nausée, donc, mais un vertige, que l’Esprit peut-être m’a suggéré : toute cette marée, ressentis-je, ce sont des hommes, c’est-à-dire autant de personnes singulières qui appellent Dieu « Père » et qui reçoivent de Lui l’être et la vie. Tous ces destins réunis ! Toutes ces âmes… uniques et promises à l’éternité. L’immense foule des JMJ, autant d’individus membres du Christ, réunis, par toute la terre, en son seul Nom.
Comment résumer ces deux semaines que nous avons passées ensemble ? En un mot, peut-être : jubilation. Et en trois phrases, que divers frères et sœurs ont entendues dans notre groupe, et qui n’en font qu’une : « Vous m’avez aidé à trouver le chemin pour retrouver foi dans l’Eglise », « Vous m’avez réconciliée avec l’Eglise », « Ici, j’ai trouvé ma place dans l’Eglise ».
Ainsi au mot de jubilation il faut ajouter réconciliation et Eglise. Des brebis perdues, nous en avions avec nous pendant ces quelques jours…
Crédit photo : Maximilien KREBS
« J’ai retrouvé le grain perdu ! Un seul grain. Mais pour un grain qui manque le lien de la prière est défait. J’ai retrouvé mon numéro perdu. Ce petit caillou transparent. Je le tiens fort dans ma main. Cette larme thésaurisée. Ce diamant inaltérable.
Cette perle unique.
L’eau retrouvée.
Mais ai-je dit que je tenais cette goutte d’eau ? C’est moi qui tiens en elle. Quelqu’un l’a mise dans ma main, cette perle unique, ce grain essentiel sans quoi tout le chapelet des cieux serait défait !
La Terre qui dit Ave Maria. »
Ajoutons encore un mot espagnol : « sandwich à l’omelette » – jusqu’à l’overdose. Un mot américain : rap, mais attention, rap dominicain par des Dominicains ! Mais aussi stories Instagram, article Aletheia, interview BFM-TV… vautours par dizaines (les oiseaux), terrasses dans le village de N.P.S.D., « todos todos TODOS » le-pape-a-dit-et-nous-avec, « pourquoi les reliques ? » ont demandé plein de pèlerins, flamenco et carioca elles ont dansé, crêpes-glaces-et-confession gratuit ou bon marché, centre-ville de Lisbonne #jefaistoutesmesJMJà5minutesdemarche, « la grâce ne supprime pas la décharge publique mais la parachève en y installant la veillée finale des JMJ », topos bien reçus, drapeaux, évêques, topos-coups de poing, topos-doctrinaux, Pau-Caleruega-Salamanque-Pena-de-Francia-Gouveia-Notre-Dame-d’Assedasse… frère Joseph (ou José : prononcez à peu près « jouzai », et non surtout pas à l’espagnole) dans son environnement naturel, chants, chants et re-chants, 4 sœurs pour le prix d’1, théâtre municipal et jambon à l’œil, rando sur rando un peu challenging (du verbe « mettre à l’épreuve ») mais qu’on ne voit pas passer à force de discuter avec les pèlerins pendant l’ascension, procession-avec-ND-de-la-Santé-chez-frère-Joseph-avec-pétards-et-fusées, veillée, incroyables talents, bûcher (de frères) et danses, folklorique, rock’n’roll et tribal jusqu’à deux heures du matin sous les étoiles de Gouveia…
…bref ! nous sommes allés collectivement d’extase en ravissement…
Marie se leva et partit en hâte. (Luc 1, 39 – thème des JMJ)
« Nous », soit : Jean Baptiste Rendu (celui à qui nous devons tout), Raphaël de Bouillé, Cyrille-Marie Richard, Rémi-Michel Marin-Lamellet, Paul-Adrien d’Hardemare, Etienne d’Ardailhon, Paul-Thomas Molina, Elodie Bonin, Patrice Lacroix, Thomas Carrique, Gioï Nguyen et Jesus Nguema, Marcel, Jonathan et Mina-Athanase, sœurs Carine Michel, Marie-Noël et Marie-Espérance, Charles Desjobert et Marc-Antoine Bêchétoille… Car avec ces JMJ il ne s’agit pas que de nous-avec-les-pèlerins : c’est aussi entre frères, sœurs et laïcs qui travaillent avec nous que ce fut une expérience très riche en fraternité.
Sur place, à Lisbonne, je retiens tout particulièrement deux « visions », ou plutôt deux visions et une audition : la première vision, c’est des centaines de jeunes assis par terre les uns contre les autres dans la cour du Café Français et jusque sur le trottoir dans la rue, avec en face d’eux, sur une estrade, un frère prêcheur qui leur prêche, les exhorte, les enseigne, les écoute et leur répond, qui les « sent » et qui leur parle… cela, c’était un exemple vraiment magnifique de prédication apostolique : on se croyait dans une scène d’évangile, dans un coin non plus de Lisbonne, mais de Galilée !
La deuxième vision est assortie d’une audition : le crâne de notre frère saint Thomas d’Aquin, que les pèlerins du monde entier ont pu venir vénérer toute la semaine dans notre église Sao José… or, un soir, il y avait, dans la cour devant ladite église, un concert de Gab, chanteur chrétien à qui l’on doit le chant des « 40 000 Français » pour les JMJ. Deux salles, deux ambiances, qu’une seule porte séparait ! D’un côté, l’on vénérait et l’on demandait pardon à Dieu, de l’autre, ça dansait et chantait. Les deux « salles » sont néanmoins du même côté : celui de la VERITAS.
Montre-moi ton chemin, Seigneur,
que je marche suivant ta vérité ;
unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom.
(Ps 85, 11)
Encore un souvenir auditif ! Celui de nos propres voix, lorsque, avec frère Gioï, nous avons rencontré deux « Chinois de Chine » (originaires des environs de Pékin) ayant une grande dévotion à saint Dominique, et qui nous ont demandé de chanter pour eux le Salve dominicain, dont ils avaient la partition, en pleine rue, au milieu de la foule du soir. Nous les avons retrouvés quelques instants plus tard, à genoux, devant le crâne du docteur angélique.
Voilà pour la deuxième semaine ! mais remontons dans le temps, et allons puiser dans notre mémoire quelques instants de la première semaine, où nous n’étions pas noyés dans une foule mondiale, mais où, à « seulement » 150, nous formions une caravane joyeuse, soudée et énergique. De l’énergie, il nous en fallait, pour mériter les paysages magnifiques que nous avons arpentés, que ce soit dans les pas de saint Dominique lui-même, autour de Caleruega ; ou dans ceux d’un certain Simon Roland, Parisien du XIVe siècle que la Vierge voulait manifestement en Espagne, sur « sa » montagne (Peña de Francia), à une heure de route de Salamanque, au sommet de laquelle nous fondâmes finalement un couvent dominicain où nous fûmes (paraît-il) jusqu’à 200 frères ; ou encore, dans les pas de bergers portugais, dans le parc naturel du sanctuaire de Notre-Dame-d’Assedasse. Ce berger, je l’entends encore diriger ses brebis dans le silence du matin : deux cris brefs, l’un très aigu, animal, et l’autre plus grave, et il m’a semblé qu’il leur parlait en français : « Viens là ! », « Plus vite ! » (facile de prendre ces paroles et cette véhémence à son compte, comme venant directement du Bon Berger). Tous ces sites, pour éviter les heures du jour les plus chaudes, nous les avons foulés aux premières heures du jour : et quelle grâce que de découvrir le monde quand le soleil se lève, dans la montagne, sous le vaste ciel, dans « la grande paix paternelle » comme disait l’autre.
Je vais d’ailleurs laisser le mot de la fin à cet autre, Claudel encore, dont j’avais emporté avec moi, naïf, la nouvelle biographie (éditée au Cerf, bien entendu), Je suis le contradictoire, et que je n’ai réussi à ouvrir qu’une fois une seule, durant ce voyage. J’y ai appris fort à propos que, à Barrès qui écrivait comme un slogan : « La Terre et les morts », Claudel répondait, avec un brin d’impertinence : « La Mer et les vivants ! » Une belle expression pour ce rassemblement de tous les peuples, des jeunes, des vivants, aux portes de l’Ancien et du Nouveau Monde…
Lisez donc ces derniers mots comme si vous aviez, ainsi que nous l’avons eu, le vaste estuaire du Tage sous les yeux, au loin, lorsque nous surplombions l’avenue de la Liberté, juchés sur une des collines de Lisbonne ; comme si vous aviez été entassés la veille, comme nous l’avons été, dans le Champ de la Grâce, avec vos frères, vos sœurs et tutti quanti, dans cette ancienne décharge publique dépolluée pour la veillée et la messe finales des JMJ ; comme si, à l’instar de ces jeunes que nous avons cités, vous vous étiez éloignés de Dieu et que, à l’occasion de ces World Youth Days, vous étiez revenus à Lui, quittant le monde ancien pour embrasser l’avenir. Ces JMJ achevées, la fête étant finie, chacun étant rentré chez soi, ayant traversé océans, cieux et frontières, nous ne saurions souscrire davantage à cette sainte exaltation du poète-ambassadeur de Dieu qui fait parler ici… un Jésuite obéissant :
La mer libre à ce point où la limite du ciel connu s’efface
Et qui est à égale distance de ce monde ancien que j’ai quitté
Et de l’autre nouveau.
Tout a expiré autour de moi, tout a été consommé sur cet étroit autel qu’encombrent les corps de mes sœurs l’une sur l’autre, la vendange sans doute ne pouvait se faire sans désordre,
Mais tout, après un peu de mouvement, est rentré dans la grande paix paternelle.
Le Soulier de Satin, Première journée, scène I
fr. Thomas Carrique
Cette année encore, vingt jeunes de 25 à 35 ans venus de toute la France se sont réunis à Belle-Île-en-Mer pour passer une semaine ensemble avec trois frères dominicains et deux anciens participants. Une semaine de formation théologique… les pieds dans l’eau ! Deux participants, Nathalie et Thibaud, racontent.